"Cette idée de réaliser l'ascension de la face ouest
des Drus par la Directe Américaine en solo intégral m'est
venue à l'esprit il y a deux ans. Le décor de cette face me
fascinait, je l'avais déjà gravie plusieurs fois".
Ainsi s'exprime Christophe Profit en ce printemps 1982. Entreprise un
peu folle que cette ascension en solitaire ? Sûrement pas quand on
s'adresse à un grimpeur comme Christophe qui s'est offert dans cette
même voie, accompagné de Rémi et Eric Escoffier, en
septembre l'année dernière, une variante à l'un des
passages-clés : le Dièdre de 90 mètres. Des cordées
"bouchonnaient" dans cette partie rectiligne de la voie où
la plupart des grimpeurs utilisent encore l'escalade artificielle. Pas moyen
de "doubler" dans ces conditions, sauf en trouvant une autre
ligne d'ascension ! Seuls des grimpeurs légers, particulièrement
bien entraînés à l'escalade libre en falaise et utilisant
les techniques propres à la falaise, pouvaient y parvenir.
Pour l'ascension en solitaire, Christophe met toutes les chances de son
côté, avec, notamment, un entraînement physique préalable
intensif : hivernales et ski de randonnée pour l'endurance, escalade
en falaise et en bloc pour la technique... En outre, et bien qu'il l'ait
parcourue à plusieurs reprises déjà, il souhaite "reconnaître"
la voie afin de "travailler" les passges les plus difficiles
pour être en mesure de les réaliser en toute sécurité
lorsqu'il aura posé la corde d'assurance. La "dülfer"
de 45 mètres et le dièdre de 90 mètres sont ainsi explorés,
mètre par mètre, les mouvements enchaînés, recommencés
si nécessaire.
Lorsqu'il démarre, du pied du socle, il porte, pour tout équipement,
un survêtement, une paire de chaussons d'escalade et un marteau à
glace pour le cas où des fissures seraient encombrées de glace
dans le haut de la paroi. Un sac de magnésie complète le matériel
du grimpeur : la poudre magique qui absorbe la transpiration des mains est
utilisée depuis de nombreuses années par les "Bleausards"
; en haute montagne, son usage est loin d'être systématique
!
C'est avec un plaisir intense que Christophe passe en "libre"
les passages difficiles : "dülfer", "grattonnage",
cotations en 6a, 6b ont remplacé les anciens passages en escalade
artificielle. "Les mots sont impuissants pour exprimer ce plaisir
fou, celui d'enchaîner des mouvements rapidement et sans hésitation,
comme le fait un danseur". |