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29 Aout 1879 ---------- Première ascension du Petit Dru
Jean Charlet-Straton, Prosper Payot et Frederic Folliguet

Lorsque l'histoire des Drus commence, tous les sommets principaux ont déjà été gravis. Seule, ou presque, résiste cette formidable pyramide de pierre, flèche parfaite s'embrasant aux rayons du soleil couchant.

Après une première tentative en 1876, et malgré la victoire de Dent au sommet nord l'année précédente, Jean Charlet-Straton veut recommencer : il veut aller au bout de sa conquête, il veut pouvoir se dresser au sommet de cette montagne si belle, si séduisante... et pourtant si difficile. Il fait tout pour y parvenir, y compris engager lui-même deux de ses collègues guides. Après quelques hésitations, Prosper Payot et Frédéric Folliguet acceptent de l'accompagner : il jure que la route est possible, mais dans la vallée, on a peine à le croire...

"Le jeudi 28 août, à 4 h. 30 min. du matin, je partis de Chamonix en compagnie de deux guides Prosper Payot et Frédéric Folliguet. Nous nous étions munis de quelques vivres, de couvertures pour nos campements nocturnes et nous emportions, avec nos piolets, une centaine de mètres de corde." Ils empruntent tout d'abord le sentier du Chapeau à la Mer de Glace, puis le quittent pour remonter la moraine en direction du glacier de la Charpoua. A 2 heures 20, ils sont au pied de la paroi. Ses co-équipiers, toujours dubitatifs quant à la réussite de l'ascension, préféreraient emprunter l'itinéraire de Dent. Mais Jean Charlet-Straton ne cède pas : il a ses raisons !...

les Drus
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"De ce point donc, nous dirigeons prudemment notre marche en tenant légèrement la droite pour traverser l'aiguille en diagonale. Le roc est ferme et légèrement poli tant par les pierres roulantes que par les avalanches de neige ; nous étions attachés à la distance de 8 mètres l'un de l'autre. Après 1 h. 30 min. de cette marche lente et que nous assurons tant avec les mains qu'avec les pieds, nous arrivons à un couloir ordinairement recouvert d'une neige compacte. Nous y grimpons pendant quelques mètres, et aussitôt la neige quittée, nous abordons de face le rocher en nous tenant légèrement sur la gauche jusqu'à une sorte de dépression d'où la vue du bas de la Mer de Glace, du Montenvers et du Chapeau s'ouvre tout à coup devant nous pendant qu'à notre droite se profile, presque jusqu'au sommet l'Aiguille que nous allons escalader."

Mais la journée s'avance, et les trois guides s'apprêtent, tant bien que mal, à passer la nuit, roulés dans leurs couvertures sur une étroite terrasse.

Le lendemain, allégés de leurs couvertures et provisions, ils repartent. La paroi se redresse, l'escalade devient de plus en plus difficile. Malgré tout, Jean Charlet-Straton reconnaît tout-à-fait les traces de son premier passage, malgré les doutes de ses compagnons.

"Péniblement, durement, au milieu d'obstacles qu'on avait de loin jugés infranchissables, au point d'affirmer que je ne les avais jamais franchis, nous avançons pourtant, en nous aidant surtout de la corde. Je n'admets guère, en ce qui me concerne, l'échelle dans les ascensions de rocher. Je la crois plutôt destinée aux couvreurs qu'aux alpinistes, et plus propre à l'ascension des toitures qu'à celle des montagnes.

Nous arrivons à un point d'où la possibilité de continuer notre ascension nous apparaît certaine. Je retrouvais très manifestement les traces de ma première expédition ; je les signalais aux guides qui m'accompagnaient, en leur désignant approximativement l'endroit où j'avais planté mon premier drapeau et laissé une bouteille vide.

Après deux heures de cette escalade exécutée avec une prudente lenteur, nous arrivons enfin au rocher où j'avais planté le drapeau qui avait marqué le point culminant de ma première tentative, et quelle ne fut pas ma surprise de retrouver tout-à-fait intact le bâton de sapin que ni les avalanches, ni les vents des hauts sommets n'avaient pu entamer.

(...) L'escalade, de ce point, devient de plus en plus ardue. (...) La roche devenait lisse et unie, les reliefs ou saillies auxquels on pouvait s'accrocher étaient de plus en plus rares. Monté sur les épaules de mes compagnons, je cherchais dans les fentes du rocher s'il m'était possible de trouver place, pour les mains ou pour les pieds.

Cet emplacement rencontré, mes pieds quittaient les épaules des guides pour s'adapter sur un piolet qui était haussé - si la longueur du piolet le permettait - jusqu'au point où je croyais pouvoir aborder. Une fois là, je fixais ma corde à une saillie de bloc en la gardant toujours soigneusement en mains, et les deux guides arrivaient jusqu'à moi en s'accrochant à la corde.

Quand les manches des piolets n'étaient pas suffisamment longs, nous étions contraints d'abandonner, pour en chercher d'autres, des emplacements qui ont bien souvent excité nos convoitises. La volonté d'arriver nous tenait ; nos mains, nos pieds s'incrustaient dans le roc vif, nous étions, suivant l'exacte expression de Folliguet, collés au rocher comme des sangsues.

Cet exercice de gymnastique se renouvela un certain nombre de fois, et je dois dire que si la défaillance et le découragement ne se sont point emparés de nous, c'est que j'avais clairement distingué qu'à une très faible distance de la dernière de ces escalades, se trouvait un tout petit névé qui nous permettait, sans autre sérieuse difficulté, d'atteindre la cime si ardemment désirée. C'est la réflexion que je fis aux deux guides qui m'accompagnaient, en leur faisant comprendre qu'une fois ce petit névé atteint, nous aurions mis notre vaillance à sa dernière épreuve et que la victoire était définitivement acquise."

Depuis la vallée, on les suit à la longue vue. Aussi n'ont-ils pas besoin de planter leur drapeau pour que retentisse la traditionnelle canonnade saluant une victoire sur un sommet !

Après une courte halte, ils se mettent aussitôt en route pour la descente "pas commode pour les deux premiers et difficile pour le dernier. (...) J'enroulais alors ma corde autour d'une saillie de rocher - on verra plus loin comment je faisais lorsque je n'en trouvais pas - et d'autre part je la tenais vigoureusement serrée à la main, pour que, si elle venait à m'échapper d'un côté, elle fût retenue de l'autre. Enfin, le second, une fois descendu, il fallait que le troisième effectuât lui-même sa périlleuse descente. Voici comment je procédais : Si une saillie du rocher me permettait d'y passer ma corde double, je lançais à mes deux compagnons les deux bouts, qu'ils devaient avoir en main avant que je commençasse à descendre ; puis, quand j'étais averti qu'ils avaient en mains ces deux bouts, je me laissais glisser doucement le long du rocher, tenant solidement la corde des deux mains, et j'étais reçu à la fin de cette descente par mes deux compagnons, qui devaient m'avertir que j'étais arrivé à eux, car il ne m'était pas toujours possible de voir au-dessous de moi. Descendant à reculons, pour ainsi dire, je ne pouvais m'occuper que de serrer solidement ma corde des deux mains, sans voir où j'allais aborder. Arrivé près de mes deux compagnons, je tirais vivement par de ses bouts la corde qui, on se le rappelle, était double, et je la ramenais ainsi à moi. A deux reprises différentes, nous avons dû renoncer à l'arracher, arrêtée qu'elle était par des fentes de rocher dans lesquelles elle avait pénétré trop profondément. Je puis, je crois, estimer à 23 mètres ce que nous avons laissé de cordes dans ces deux endroits.

J'ajoute, pour être sincère jusqu'au bout, que, à défaut de saillie de rocher à laquelle je pusse fixer ma corde, je cherchais une fissure pour y introduire, à l'aide d'un marteau, en l'assujettissant aussi solidement que possible, une forte pointe d'acier de 20 centimètres de long environ, et c'est à cette pointe que j'accrochais la corde, ainsi que je l'ai expliqué ci-dessus."

Et c'est ainsi que, inventant la technique du rappel, Jean Charlet-Straton et ses compagnons rejoignent leur bivouac où ils passeront une seconde nuit. Quand le jour se lève le lendemain matin, ils se rendent vite compte que le névé ramolli de la veille a durci dangereuseent pendant la nuit. Aussi, forts de leur expérience de la veille, ils n'hésitent pas à sacrifier le manche d'un piolet pour le planter dans la neige de façon à pouvoir y enrouler leur corde. Ce sera leur dernière difficulté avant de dévaler les pentes qui les rmèneront à Chamonix où ils seront reçus avec enthousiasme par la population.